Il arrive que la pensée se fasse à ce point impérieuse, à ce point irrésistible qu’elle fait éclater toutes les formes où elle s est jusque-là exprimée. Sa «voix», son intensité, an risque de ne pas toujours trouver I’issue, comptent seules. Elle se fait alors si puissante qu il lui faut basculer en une sorte de chant, d’hymne triomphal, ou bien se ramasser au contraire en formulations denses, compactes, si justes qu elles en sont impénétrables et lumineuses à la fois.
Nietzsche s’est tout au long de sa vie trouvé pris entre ces deux moments, Ainsi parlait Zarathoustra, au croisement du trop-plein et de la précision, traduit ce débordement de la pensée mais canalisé par une expression rigoureuse. Jacques Derrida décrit ce croisement pathétique au sein de la philosophie dans «Cogito et histoire de la folie» (in L’Écriture et la différence). Nietzsche, peut-être, du fait même de la force de sa pensée, s est aussi trouvé plus que quiconque confronté au problème de la tortue. Ce qu’il avait à dire prenait tout naturellement place à I’intérieur de la philosophie, dont il ne pouvait pourtant pas emprunter la langue et pas davantage les «idées». Or, l’ardeur philosophique ne lut, en son temps, plus grande chez aucun autre. Philosophe comme personne, il ne peut pour celle raison rien emprunter à la philosophie de son temps, figée dans une langue épaisse dont il ne cesse de combattre la lourdeur.
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